Nouvelle définition du viol : l’enfer juridique est pavé de bonnes intentions
La commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté le 26 mars 2025 une proposition de loi visant à modifier la définition du viol dans notre Code pénal en y ajoutant la notion de non-consentement.
Hasard du calendrier législatif et judiciaire, ce vote prend place en plein procès Gérard Depardieu (lequel est poursuivi pour des faits d’agressions sexuelles) symbole du mouvement MeToo en France et qui se veut à la fois confrontation et transition entre un « ancien monde » et un « nouveau monde ».
Finalement, le texte exige un « consentement libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable » aux actes sexuels.
Cette proposition de loi apparait tout à la fois comme une révolution et une continuité qui ne peut laisser indifférent sous l’angle de la défense pénale.
Révolution d’abord puisque le texte modifiera l’actuel article 222-23 du Code pénal ainsi libellé : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Les esprits militants ou divertis n’ont eu de cesse ces dix dernières années de fustiger cette définition qui n’inclurait pas la notion de « non-consentement ». Pourtant un dictionnaire français permet rapidement de conclure que les termes de violence, menace, contrainte ou surprise sont exclusifs de tout consentement. Les plus divertis et les plus militants pouvaient dès lors être rassurés : le non-consentement de la victime était déjà – et on n’imagine pas comment il aurait pu en être autrement – au cœur de la définition du viol et de son application par nos juridictions.
Aux termes du projet de loi voté le 1er avril à l’Assemblée nationale, la définition du viol sera élargie comme suit : « Le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes (…) Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime. De plus qu’ « il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise.
Pour comprendre cette révolution il faut assez naturellement s’intéresser à ses causes.
Il est hélas commun d’observer qu’un fait divers puisse provoquer l’adoption d’une loi. Ce phénomène que l’on qualifie de « loi de circonstance » s’analyse généralement comme une réaction épidermique du législateur qui s’investit alors d’une mission et tente de calmer une opinion publique dans l’incompréhension face à une application de nos textes.
Les exemples contemporains ne manquent pas : l’affaire Sarah Halimi a provoqué une réforme sur la notion d’abolition du discernement et la responsabilité pénale ; l’affaire d’Outreau a provoqué une réforme en profondeur du Code de procédure pénale.
Ces deux exemples ont comme point commun de résulter de procès où le législateur – parfois à la demande des magistrats – a été amené à compléter le droit pour permettre l’appréhension ou la meilleure appréhension de nouvelles situations : en somme un fait divers a permis de mettre en lumière les lacunes du Code pénal et en a donc provoqué la modification.
Chose absolument inédite, la modification de la définition du viol n’intervient absolument pas après que le législateur ou le corps judiciaire se soit rendu compte des limites du texte. En effet, l’actuelle définition du viol a permis une appréhension totale du dossier des viols de Mazan puisque ce procès a abouti à la condamnation de l’intégralité des accusés et qu’il n’a jamais été indiqué que la définition du viol pouvait permettre ici une impunité malheureuse.
En réalité, ce n’est pas l’application de la loi à l’affaire des viols de Mazan qui est à l’origine de cette révolution textuelle mais la perception par le corps politique et l’opinion publique de la défense de certains accusés.
S’il était déjà à regretter que des faits divers provoquent la modification d’une loi, un nouveau cap a été franchi puisque c’est la défense de certains qui a provoqué l’adoption d’une loi.
En 2025, la France modifie ses lois en réaction à l’exercice d’un droit fondamental qu’est celui de la défense.
Plus regrettable encore est qu’il s’agit manifestement de l’objectif recherché puisqu’Aurore Berger, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, n’avait de cesse de rappeler que « ce qui compte ce n’est pas ce que l’agresseur croit, c’est ce que la victime veut ».
Exit 2000 ans de droit pénal fondé sur l’élément intentionnel du crime, condition sine qua non à la répression de tout comportement antisocial.
Cependant, les véritables écueils résident dans l’inversement de la charge de la preuve réalisé par le texte : « demain ce sera l’auteur qui devra démontrer par des actes positifs qu’il s’est assuré du consentement et l’enquête devra porter sur ce qu’il a perçu et ce qu’il a fait pour s’assurer de l’accord de l’autre » expliquait Gérald Darmanin, garde des Sceaux. D’une part, un rapide passage dans n’importe quelle Cour d’assises de France lui aurait permis de remarquer que l’enquête et le procès portent depuis longtemps sur ce que l’accusé a perçu et ce qu’il a fait pour s’assurer de l’accord de l’autre. D’autre part, on se demande bien de quels actes positifs destinés à s’assurer du consentement de l’autre un accusé pourra rapporter la preuve dans le cadre d’une enquête judiciaire.
Plus largement cette modification législative invite à se questionner : qu’attend la société du droit pénal, et que peut-elle en attendre ? Le bruit de la foule et de l’opinion publique peut-il être un cap législatif dans notre démocratie ?
Une chose est certaine, la douleur des victimes, aussi légitime soit-elle, et l’opinion publique ne peuvent être une boussole juridique puisque dans une Cour d’assises comme à l’Assemblée nationale quand l’opinion publique rentre par une porte, le droit en sort par une autre.
Publié le 17 avril 2025