Harcèlement sexuel : nul besoin de viser directement une personne à l’intérieur d’un groupe
Dans son arrêt du 12 mars 2025 (n°24-81.644), la chambre criminelle juge que l’infraction d’harcèlement sexuel peut être caractérisée par des propos tenus à un ensemble de personnes, et non pas à une personne directement visée et identifiée au sein de ce groupe.
En l’espèce, un maître de conférences de l’Université Haute-Alsace a été déclaré coupable d’harcèlement sexuel pour avoir tenu des propos et attitudes sexistes et dénigrants au préjudice de quinze étudiants.
Néanmoins, la Cour d’appel de Colmar a relaxé le professeur pour quatorze cas sur quinze, estimant que l’infraction d’harcèlement sexuel n’était pas caractérisée, puisque les attitudes et les propos étaient lancés à la cantonade, et ne visaient donc pas directement les quinze étudiants plaignants.
Ainsi, l’enjeu était de déterminer si le fait d’imposer de tels propos à un groupe de personnes, revenait à les imposer à chacune de ces personnes individuellement.
Dans sa décision du 12 mars 2025, la Cour de cassation répond par la positive et casse l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar.
En effet, la chambre criminelle précise que des propos à connotation sexuelle ou sexiste adressés à plusieurs personnes, ou de tels comportements adoptés devant plusieurs personnes, sont susceptibles d’être imposés à chacune d’entre elles.
Ainsi, il apparaît que même si les propos ou comportements litigieux ne visaient pas directement un étudiant, leur caractère répété et offensant est de nature à constituer un harcèlement sexuel à l’encontre de chaque étudiant exposé à ces propos ou comportements.
Partant, la Cour de cassation casse l’arrêt et renvoi les parties devant la Cour d’appel de Metz.
Force est de constater, que cette solution est critiquable à bien des égards.
D’une part, il apparaît qu’en statuant ainsi, la chambre criminelle semble timidement consacrer une notion de « dignité de groupe ».
En effet, l’article 222-33 du Code pénal précise que le harcèlement sexuel suppose d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, qui soit porte atteinte à la dignité de la personne ou qui crée à son encontre une situation humiliante ou dégradante.
En admettant que l’infraction soit caractérisée par des propos adressés à la cantonade, la notion de « dignité de la personne » disparait devant celle de « dignité du groupe ». Or, cette notion n’existe pas dans le Code pénal en vigueur. Pourtant, les dispositions répressives sont, en principe, d’interprétation stricte.
D’autre part, c’est en principe au ministère public d’apporter la preuve qu’un prévenu ait commis intentionnellement un acte répété susceptible de revêtir la qualification d’harcèlement sexuel. Ainsi, chaque individu est pénalement responsable uniquement de son propre fait.
Pourtant, la solution de la chambre criminelle procède d’une toute autre méthodologie.
Il apparaît que le point de départ de la caractérisation de l’infraction trouve son origine dans la réception par les plaignants des propos litigieux. Ainsi, plutôt que d’examiner les actes du prévenu au regard de son état d’esprit comme la loi le suppose, la focale est concentrée sur le ressenti des victimes. Il n’est plus question de déterminer si l’auteur de propos a volontairement harcelé une personne mais si celle-ci a pu en pâtir.
Finalement, cette solution participe à un changement de paradigme : celui de la responsabilité du fait du sentiment d’autrui.
Publié le 26 mars 2025