Un nouveau dilemme pour l’accusé : l’aveu ou la prison

« L’aveu, voilà une excellente chose qui permet de condamner un innocent de complexion faible et de relâcher des coupables des plus robustes »

                                                                                                – Jean de La Bruyère  

            Par un arrêt en date du 4 avril 2024 (Cass.crim., 4 avril 2024, nº23-84.520), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a porté une atteinte considérable aux droits de tout accusé de ne pas contribuer à sa propre incrimination et à son droit au silence.

Pour motiver le prononcé d’une peine d’emprisonnement avec sursis la Cour d’appel a relevé que l’individu poursuivi a nié les faits qui lui ont été reprochés et n’a aucunement exprimé de regret quant à ses agissements, ce qui, selon la même Cour, peut laisser craindre de nouveaux passages à l’acte.

Plus encore la Cour d’appel précise que le prévenu a refusé de répondre aux questions concernant son travail et ses revenus, en somme sa situation personnelle. Aux termes de ce constat, elle jugeait que malgré l’absence de toute mention au casier judiciaire, une peine d’emprisonnement avec sursis était bien plus adaptée que le prononcé d’une peine d’amende.

Le prévenu formait alors un pourvoi en cassation qui sera finalement rejeté au terme d’un raisonnement déroutant et difficilement acceptable sur le terrain juridique.

En effet, la Cour de cassation a retenu que « les juges n’ont pas méconnu le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser lui-même en constatant le refus de l’intéressé de fournir les éléments relatifs à sa situation personnelle. Ils pouvaient, dès lors, se fonder sur les seuls éléments figurant au dossier de la procédure contradictoirement débattus » et retenait que « le principe précité ne s’oppose pas à ce qu’après avoir reconnu la culpabilité du prévenu, les juges tiennent compte, dans le choix de la peine, de la manière dont celui-ci se situe par rapport aux faits ».

Premièrement, cette motivation laisse transparaître que l’obligation d’individualisation et de motivation de la peine pourrait être à géométrie variable selon que le prévenu apporte aux juges les éléments à charge leur permettant de le condamner ou qu’il clame son innocence.

Or, pareil raisonnement paraît peu acceptable puisque la motivation de la peine est une exigence légale et qu’il appartient au ministère public de démontrer que les peines dont il requiert le prononcé sont adaptées à la situation et à la personnalité du prévenu. Par conséquent, à défaut d’y parvenir, la juridiction de jugement ne peut prononcer de sanction qu’elle ne parviendrait pas à motiver.

Ensuite, il paraît extrêmement difficile de conjuguer cet arrêt au principe à valeur constitutionnelle de la présomption d’innocence.

En filigrane de cet arrêt transparaît de manière flagrante que la Cour d’appel fait grief au prévenu de n’avoir adopté un positionnement par rapport aux faits qui correspond à l’idée qu’elle se fait de la vérité du dossier.

Puisque le débat sur la peine suit le débat sur les faits, motiver une peine en arguant que le prévenu ait contesté les faits à l’audience est une négation du principe de la présomption d’innocence et du droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination.

Le raisonnement tenu par la Cour de cassation et la Cour d’appel avant elle signifie que dans certains cas, pour obtenir une sanction adaptée et motivée, les prévenus doivent reconnaître leur culpabilité et fournir aux magistrats matière à les condamner de la meilleure des manières.

Voilà donc ce que l’on pourrait qualifier de nouveau dilemme du prisonnier : si je clame mon innocence mais que le juge n’en est pas convaincu je serai condamné de manière plus sévère ; si je renonce à clamer mon innocence, je bénéficierai d’une peine adaptée.

Aussi longtemps que le débat sur la peine suivra celui sur les faits un tel raisonnement sera kafkaïen.

Publié le 10 septembre 2024