La consécration d’une dualité des régimes de géolocalisation par la chambre criminelle
Dans un arrêt du 27 février 2024 la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur la géolocalisation en temps réel d’un véhicule et d’un téléphone portable et apporte des précisions quant au contrôle préalable de ces mesures.
Pour rappel, la géolocalisation d’un téléphone portable est réalisée par le recueil de données de localisation auprès de l’opérateur de téléphonie, tandis que la géolocalisation d’un véhicule consiste à poser une « balise » sur le véhicule de l’intéressé afin de suivre ses déplacements.
En l’espèce, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour des faits de blanchiment aggravé et d’association de malfaiteurs, le Procureur de la République a autorisé la géolocalisation du téléphone et de deux véhicules du suspect, tandis que le Juge des libertés et de la détention autorisait des interceptions téléphoniques. Une fois mis en examen, le suspect demande l’annulation des opérations de géolocalisation invoquant notamment l’absence de contrôle judiciaire a posteriori des interceptions. Il arguait notamment que le Procureur de la République ne pouvait valablement autoriser les mesures de géolocalisation de l’espèce.
En effet, conformément à la jurisprudence de l’Union européenne, le représentant du ministère public ne peut autoriser l’accès d’une autorité publique aux données de localisation (CJUE 2 mars 2021, H. K. c/ Prokuratuur, aff. C-746/18). Par quatre arrêts du 12 juillet 2022, la Cour de cassation reprend les exigences européennes et détermine le cadre dans lequel la conservation des données de connexion conservées par les opérateurs doit intervenir.
Plusieurs conditions ont alors été posées : Une première condition tient au fait que les données ont été conservées conformément aux exigences du droit européen. S’ajoute à cela une deuxième condition qui renvoie à un critère de gravité de l’infraction poursuivie. Plus exactement, ces réquisitions ne peuvent être prises que dans le cadre d’une criminalité grave. La troisième condition renvoie à la nécessité de la mesure. En la matière, il convient de s’assurer que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l’accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire (notamment en termes de durée). Enfin, la quatrième condition renvoie à l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire. En matière d’instruction, l’intervention du Juge d’instruction permettra de considérer cette condition comme systématiquement remplie. Dans les autres cas, l’autorisation du Juge des libertés et de la détention est indispensable.
Pourtant, malgré ces exigences européennes, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Lyon avait écarté la demande d’annulation des mesures de géolocalisation formulée par le mis en examen. Ce dernier se pourvoit alors en cassation.
Pour traiter le pourvoi formé, la chambre criminelle distingue entre la géolocalisation des véhicules de celle relative à la ligne téléphonique et applique à la situation de l’espèce la méthode retenue dans les arrêts du 12 juillet 2022 :
Concernant le moyen relatif à la géolocalisation d’un téléphone portable, la chambre criminelle élargit sa jurisprudence du 12 juillet 2022 à la géolocalisation.
Elle précise tout d’abord que la géolocalisation ne pouvait être décidée que lorsqu’elle est strictement nécessaire, c’est-à-dire dans le cadre d’une enquête pour une infraction grave.
Puis, la Cour reprend la distinction faites entre les autorités susceptibles d’accéder à ces données : Le juge d’instruction, exerçant une fonction juridictionnelle, peut exercer ce droit d’accès aux données de géolocalisation. En revanche, le Procureur ne peut y accéder directement car, selon le droit de l’Union, il manque de neutralité à l’égard des parties puisqu’il dirige la procédure d’enquête préalable.
Enfin, dans la continuité de ses décisions du 12 juillet 2022, les juges du quai de l’horloge précise toutefois qu’une mesure de géolocalisation de téléphone ne peut être annulée uniquement si l’irrégularité constatée a occasionné un préjudice à la personne mise en examen. Ce préjudice est notamment établi dès lors que le recours à la géolocalisation a eu lieu dans le cadre d’une procédure ne relevant pas de la lutte contre la criminalité grave ou que cette mesure n’était pas strictement nécessaire aux besoins de l’enquête.
Sur ce point, la décision de la Cour d’appel est sanctionnée avec renvoi.
Néanmoins, la Cour de cassation limite l’étendue de cette jurisprudence. Constatant que la directive du 12 juillet 2002 « vie privée et communications électroniques » concerne uniquement les services de communication électronique accessibles au public, la Cour en a conclu qu’une mesure de géolocalisation en temps réel d’un véhicule n’a pas à faire l’objet d’un contrôle préalable par un juge ou une autorité administrative indépendante. Sur ce point, la position de la Cour d’appel de Lyon est donc confirmée.
Publié le 19 avril 2024