L’abus de confiance peut désormais porter sur un immeuble

Par un important arrêt du 13 mars 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence spectaculaire.

Elle revient ainsi sur sa jurisprudence qui jusqu’à présent, excluait catégoriquement l’immeuble comme objet possible de la remise visée par l’article 314-1 du Code pénal (Crim. 10 oct. 2001, n° 00-87.605, Crim. 14 janvier 2009, n°08-83.707).

Cette appréciation n’est désormais plus d’actualité et la chambre criminelle ne manque pas de consacrer sa nouvelle position dans un arrêt du 13 mars 2024. Ainsi, elle juge que l’usage abusif d’un immeuble portant atteinte de façon irrémédiable à son utilité et traduisant la volonté manifeste de l’auteur de se comporter, même momentanément, comme un propriétaire est désormais constitutif d’un abus de confiance au sens de l’article 314-1 du Code pénal (§53).

A l’appui de ce revirement, la Cour de cassation évoque les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption du nouveau code pénal et le fait que, depuis 2016, elle a déjà fait évoluer sa position en ce sens, s’agissant de l’escroquerie. En effet, dans une solution semblable quelques années plus tôt, la Cour avait jugé qu’un immeuble pouvait constituer l’objet du délit d’escroquerie (Crim. 28 septembre 2016, pourvoi n°15-84.485). Le changement de position du 13 mars 2024 n’était donc pas totalement imprévisible.

Par ailleurs, la chambre criminelle rappelle que l’acte de détournement, constitutif de l’infraction d’abus de confiance, peut résulter d’une utilisation du bien à des fins étrangères à celles qui avaient été convenues dès lors que cet usage implique la volonté du possesseur de se comporter comme propriétaire du bien (Crim. 13 février 1984, n°82-94.484).

Enfin, des précisions surprenantes sont apportées par la Cour concernant l’application dans le temps de ce revirement. Dans le présent arrêt, les demandeurs au pourvoi arguaient que les revirements de jurisprudence « in defavorem » ne pouvaient rétroagir aux faits commis antérieurement. Ils considéraient en effet qu’il était impossible de prévoir, au moment de la commission des faits reprochés (de 2007 à 2010), que l’abus de confiance pourrait être étendu au bien immeuble au regard d’un arrêt intervenu plusieurs années plus tard portant sur une infraction différente.

Cet argument, qui semble pourtant évident et conforme aux exigences de prévisibilité et de clarté de la loi découlant du principe de légalité ainsi qu’au principe de non-rétroactivité de la loi pénale, n’a pas convaincu les juges de la chambre criminelle. Pour ces derniers, ce revirement ne méconnaît en rien le principe consacré par l’article 7 de la Conv. EDH, lequel ne s’applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle prévisible. Notant qu’elle s’était, par plusieurs arrêts antérieurs aux faits poursuivis, engagée dans le sens d’un élargissement de la conception de l’objet détourné. Ainsi, le présent revirement a vocation à s’appliquer immédiatement aux faits de l’espèce.

Publié le 19 avril 2024